«Voici deux romans du même poète, l'un archiconnu, l'autre presque ignoré, rassemblés par les nécessités de l'édition et les contingences de la recherche, séparés dans l'histoire par plus de trente années, par la quasi-totalité de l'oeuvre lyrique et épique, par la masse énorme des Misérables. Contemporains l'un de la révolution de Juillet, l'autre des premiers temps de la Première Internationale. L'un passe pour un roman historique, mais l'action en fait dériver le sens de Reims à Paris, de la légitimité du sacre à la prophétie révolutionnaire, de la mort de Louis XI à toute Renaissance, suspens de l'histoire, avènement du Peuple. L'autre vaut comme roman élémentaire, naturaliste en un sens étrange, mais le temps du récit le ramène à la Restauration, son lieu national n'est autre que l'exil, sa fatalité n'est pas la verroterie de l'espérance, mais la clôture d'un regard noyé, indifférent à l'éclosion printanière, au rut de la nature. Notre-Dame de Paris fournit la décoration du sombre vestibule d'entrée de Hauteville-House, maison-poème, Les Travailleurs de la mer sont ce qu'on voit du haut de la bâtisse, de ce look-out impératif où règnent, par-dessus les dogmes et les lois, la transparence des choses, plus haut que les commodités bourgeoises et les fantaisies mobilières du génie, la nudité de l'écriture, au-delà des symboles pesants et des caprices familiaux, le silence de la fatalité intérieure : l'abîme du coeur humain. Tombe en plein ciel, caverne retournée, Moi révulsé en un indicible On, en une distance d'auteur qui a cessé de dénoncer, renoncé à signaler et feint de se résigner à indiquer.» Jacques Seebacher.
« Lire Mr. James », disait l'un de ses contemporains, « c'est faire l'expérience d'un plaisir spirituel léger et continu. C'est être intellectuellement émoustillé. » L'« éblouissante agilité mentale » de James transparaît dès Roderick Hudson (1875), qui relève déjà du « thème international ». Tout en se dégageant de « la grande ombre de Balzac », l'histoire tragique de la chute de Hudson, sculpteur américain emmené à Rome par un mécène devenu son ami, doit encore beaucoup au mode allégorique dont Hawthorne avait fait sa marque de fabrique. Les Européens (1878) plonge le lecteur dans une comédie humaine aiguisée par le tranchant de l'ironie : toujours sous le signe des échanges transatlantiques, deux Américains européanisés regagnent leur pays d'origine pour nouer des liens (intéressés) avec leurs cousins de Nouvelle-Angleterre.
Les romans de James ne cessent de poser de manière complexe et ambiguë la question des rapports entre Europe et Amérique. Le thème international est au second plan dans Washington Square (1880) dont l'action se déroule majoritairement à New York, et qui offre déjà un portrait de femme paradoxal et poignant, celui d'une héroïne à l'avenir brisé par les atermoiements d'un chasseur de dot et la lucidité cruelle d'un père déterminé à l'en protéger.
Mais l'exploration des parcours transatlantiques reprend avec Un portrait de femme (1881).
Farouchement attachée à son indépendance, Isabel Archer quitte les États-Unis et fait son éducation sentimentale en Angleterre, puis en Italie. Salué à sa parution comme un chefd'oeuvre, le livre déconcerta pourtant. Peu de critiques mesurèrent la complexité de ce « monument littéraire » érigé autour de la figure d'une « jeune fille affrontant sa destinée ».
Chez James, les héroïnes éprises de liberté payent toujours leurs illusions au prix fort - celui du renoncement et de la douleur.
Édition établie par Évelyne Labbé, avec la collaboration d'Anne Battesti et Claude Grimal Né aux États-Unis dans une famille d'ascendance irlandaise, Henry James (1843-1916) a reçu une éducation baignée de culture européenne. Après un séjour prolongé à Paris à partir de 1875, il se fixe définitivement à Londres en 1878. Ses romans et ses nouvelles lui valurent un immense succès qui ne s'est jamais démenti.
Coffret de trois volumes vendus ensemble, réunissant des réimpressions récentes des premières éditions (1956, 1959, 1971).
Au cours de l'été 1816 à la villa Diodati, au bord du Léman, Mary Shelley n'est pas la seule à engendrer une créature de papier monstrueuse. Le médecin de Lord Byron, Polidori, qui participe également au concours d'histoires macabres organisé par son employeur, fait entrer le vampire en littérature. Le Vampire est un texte fondateur qui apporte l'impulsion décisive permettant au genre gothique de donner naissance à l'une de ses modalités les plus spectaculaires : la littérature vampirique. Avant Polidori, le vampire était un vuIgaire revenant cantonné à la tradition folklorique et aux récits légendaires. En faisant de lui un personnage éminemment byronien - aristocratique, désenchanté, séduisant ténébreux -, il invente une figure canonique qui continue d'essaimer aujourd'hui.
Depuis le début du XIXe siècle, la littérature britannique palpitait au rythme de pulsions sanguinaires. Avec la relation ambiguë mais cruellement prédatrice qui unit la très destructrice Géraldine à l'héroïne éponyme de Christabel (1797 et 1800), Coleridge a préparé les sensibilités à une mise en discours explicite de la morsure infligée par un revenant. Robert Southey, dans un épisode de Thalaba (1801), puis Byron, à la faveur d'un passage du Giaour (1813), ont l'un et l'autre franchi un pas symbolique crucial en utilisant non seulement le concept mais le terme de «vampire». Christabel fait l'ouverture de ce volume, où l'on trouvera en appendice des extraits des deux poèmes séminaux de Southey et Byron.
Un autre jalon est posé par Sheridan Le Fanu et Carmilla (1872). Ouvertement saphique, cette nouvelle met en scène un vampire femelle qui envoûte sa proie. La séduction est, littéralement, effrayante, et la prédation létale fait écho aux pulsions sexuelles refoulées de la victime. Un autre écrivain irlandais, Bram Stoker, saura s'en souvenir vingt-cinq ans plus tard. On ne présente plus sa création, le comte Dracula, ce grand saigneur. Reste que les adaptations cinématographiques se sont par trop éloignées de l'oeuvre originelle, et qu'il est bon de revenir au texte de Stoker pour saisir tout ce que son roman a de subversif. Dans Dracula (1897), projection des ténèbres de notre propre nature, la vie et la mort tissent un entrelacs lugubre, et la répulsion et le désir s'entremêlent. Quelques mois plus tard, Florence Marryat publie Le Sang du vampire et propose une variante féminine et insolite du mythe. Née sous le coup d'une malédiction héréditaire, Harriet Brandt, métisse originaire des AntiIles, est douée d'une propension fatale à faire du mal à ceux dont elle s'entiche, et c'est avec gourmandise qu'elle apprécie ses semblables. Autour d'elle, les êtres qui succombent à son charme exotique finissent par succomber tout court, tant ses cajoleries ou ses étreintes épuisent leur vitalité et se révèlent mortelles. Par un glissement sémantique, la jeune fille innocente en mal d'affection vampirise ses proches, et pour ce faire n'a même pas besoin de faire couler le sang.
En 1913, Rachilde croyait apercevoir derrière les pages du Grand Meaulnes tout juste paru "une fée qui vous guette" pour vous jeter au visage "le don d'enfance" . Bel éloge, quoique non dépourvu d'ambiguïté. Rachilde signalait par là la poétisation du réel qui demeure aujourd'hui encore l'un des charmes les plus actifs du roman. Mais elle ouvrait la porte, pour qui lisait à une moindre profondeur, à un malentendu durable.
Peu de romans sont plus célèbres que Le Grand Meaulnes. Peu ont une place comparable dans le paysage littéraire. Sans doute la mort à l'ennemi d'Alain-Fournier, en septembre 1914, n'y est-elle pas pour rien, qui fit de lui un jeune homme irrévocable et de l'ouvrage un livre unique. Mais peu de romans sont aussi souvent lus "en surface" , là où les apparences sont trompeuses. Ainsi a-t-on pu prendre pour un texte peu construit et destiné aux adolescents ce qui est en réalité un concerto en trois mouvements et un roman pour adultes "avertis" , une sombre et cruelle histoire de déception, de désenchantement (ce désenchantement qui serait bientôt le terrain favori de la modernité littéraire), de dégonflement, dit Philippe Berthier dans sa décapante préface, le "dégonflement, voulu et méchant, d'un très bref et miraculeux mirage" .
Un mirage en effet. Yvonne de Galais a quelque chose de la Mélisande de Maeterlinck et Debussy : elle n'est "pas d'ici" . Et Augustin Meaulnes tombe à Sainte-Agathe comme un aérolithe - premiers mots du livre : "Il arriva chez nous" -, chamboule tout, puis disparaît. Il est l'un de ces êtres qui "paraissent autour d'eux créer comme un monde inconnu" . Son ami Seurel, le narrateur du roman, ne peut que l'imaginer partant "pour de nouvelles aventures" , dont on ne saura rien.
Ainsi se termine Le Grand Meaulnes, mystérieusement. Rien de moins simple que la simplicité de ce livre. Il se nourrit de toute une bibliothèque secrète, qui va des récits du Graal à la Sylvie de Nerval et à Pelléas en passant par le roman d'aventures anglo-saxon. Et bien que Fournier se soit efforcé de gazer la violence latente chez Meaulnes (qui fait songer à celle de Golaud) et les pulsions liées à une sexualité intense et compliquée, l'une et les autres affleurent.
On touche là un point névralgique du livre ; il suffit pour s'en persuader de consulter le chapitre finalement retranché par l'auteur et qui figure ici parmi les esquisses manuscrites éclairant la genèse de l'ouvrage. Ou encore les lettres et documents rassemblés à la suite du roman. Ils racontent l'histoire d'une passion impossible, celle que Fournier éprouva pour Yvonne de Quiévrecourt, la jeune femme rencontrée en 1905 et à qui le personnage d'Yvonne de Galais doit beaucoup.
Mais ils retracent aussi, d'une autre manière que les esquisses, la genèse du livre qui s'écrit de 1904 à 1913. Les deux aventures - un inguérissable rêve amoureux, une expérience d'écriture unique - ont partie liée et s'entrecroisent.
Don Quichotte lui-même, au seuil de la «Seconde partie» (1615), n'en croit pas ses oreilles : «Il est donc vrai qu'il y a une histoire sur moi?» C'est vrai, lui répond le bachelier Samson Carrasco, et cette histoire - la «Première partie» du Quichotte, publiée dix ans plus tôt -, «les enfants la feuillettent, les jeunes gens la lisent, les adultes la comprennent et les vieillards la célèbrent». Bref, en une décennie, le roman de Cervantès est devenu l'objet de son propre récit et commence à envahir le monde réel. Aperçoit-on un cheval trop maigre? Rossinante!
Quatre cents ans plus tard, cela reste vrai. Rossinante et Dulcinée ont pris place dans la langue française, qui leur a ôté leur majuscule. L'ingénieux hidalgo qui fut le cavalier de l'une et le chevalier de l'autre est un membre éminent du club des personnages de fiction ayant échappé à leur créateur, à leur livre et à leur temps, pour jouir à jamais d'une notoriété propre et universelle. Mais non figée : chaque époque réinvente Don Quichotte.
Au XVIIe siècle, le roman est surtout perçu comme le parcours burlesque d'un héros comique. En 1720, une Lettre persane y découvre l'indice de la décadence espagnole. L'Espagne des Lumières se défend. Cervantès devient bientôt l'écrivain par excellence du pays, comme le sont chez eux Dante, Shakespeare et Goethe. Dans ce qui leur apparaît comme une odyssée symbolique, A.W. Schlegel voit la lutte de la prose (Sancho) et de la poésie (Quichotte), et Schelling celle du réel et de l'idéal. Flaubert - dont l'Emma Bovary sera qualifiée de Quichotte en jupons par Ortega y Gasset - déclare : c'est «le livre que je savais par coeur avant de savoir lire». Ce livre, Dostoïevski le salue comme le plus grand et le plus triste de tous. Nietzsche trouve bien amères les avanies subies par le héros. Kafka, fasciné, écrit «la vérité sur Sancho Pança». Au moment où Freud l'évoque dans Le Mot d'esprit, le roman est trois fois centenaire, et les érudits continuent de s'interroger sur ce qu'a voulu y «mettre» Cervantès. «Ce qui est vivant, c'est ce que j'y découvre, que Cervantès l'y ait mis ou non», leur répond Unamuno. Puis vient Borges, avec «Pierre Ménard, auteur du Quichotte» : l'identité de l'oeuvre, à quoi tient-elle donc? à la lecture que l'on en fait?
Il est un peu tôt pour dire quelles lectures fera le XXIe siècle de Don Quichotte. Jamais trop tôt, en revanche, pour éprouver la puissance contagieuse de la littérature. Don Quichotte a fait cette expérience à ses dépens. N'ayant pas lu Foucault, il croyait que les livres disaient vrai, que les mots et les choses devaient se ressembler. Nous n'avons plus cette illusion. Mais nous en avons d'autres, et ce sont elles, peut-être - nos moulins à vent à nous -, qui continuent à faire des aventures de l'ingénieux hidalgo une expérience de lecture véritablement inoubliable.
En 1662 paraît La Princesse de Montpensier. Des copies de l'ouvrage circulent depuis quelque temps déjà. La nouvelle «court le monde», déplore l'auteur ; «mais par bonheur ce n'est pas sous mon nom».
En 1669, on dresse le portrait d'«Hypéride», alias Marie Madeleine Pioche de La Vergne, comtesse de Lafayette : «Elle écrit parfaitement bien, et n'a nul empressement de montrer ses ouvrages.» Quand paraît, l'année suivante, le premier volume de Zayde, il est attribué à Segrais.
En 1678, première édition, anonyme, de La Princesse de Clèves. Des rumeurs suggèrent que Mme de Lafayette pourrait en être l'auteur. Elle se dit flattée, mais dément.
Il reste que, chaque fois, le succès est au rendez-vous. En témoignent les nombreuses contrefaçons, traductions et adaptations de ces oeuvres qui fleurissent dès le XVIIe siècle. C'est naturellement La Princesse de Clèves qui suscite le débat le plus véhément. Mme de Clèves a-t-elle eu raison d'avouer au prince son mari qu'elle était amoureuse de M. de Nemours? Le Mercure organise une enquête publique sur ce point. Le genre de l'ouvrage est mis en question. Roman d'imagination, roman historique, roman galant? La querelle fait rage entre les Anciens et les Modernes. Le livre inaugure un nouveau genre. Jugé invraisemblable, il donne lieu à une véritable entreprise de réécriture, que motivent l'étonnement suscité par le récit, les silences que l'on y perçoit, l'insatisfaction quant au sort de l'héroïne.
Sans doute ne lit-on plus l'oeuvre de Mme de Lafayette comme on le faisait au XVIIe siècle ; c'est d'ailleurs ce qui garantit sa survie. Nous voyons dans La Princesse de Clèves un roman de la passion et de la destinée, un chef-d'oeuvre de l'analyse psychologique, un sommet de la langue française, le livre d'une femme, l'acte de naissance du roman moderne. Mais il ne faut pas s'y tromper. Le rayonnement quasi mythique du livre tient à sa double appartenance : à son temps, au nôtre. La présente édition - qui rassemble tous les ouvrages attribuables (ou attribués) à celle qui n'en signa aucun - ne néglige aucune de ces deux dimensions. Les nombreux documents annexés aux oeuvres éclairent leurs sources historiques et les conditions de leur réception ; les textes eux-mêmes, nouvellement établis, sont accompagnés, pour la première fois, des éclaircissements linguistiques désormais indispensables à une lecture exacte et sensible.
Aux oeuvres s'ajoute la correspondance intégrale, qui montre que Mme de Lafayette ne doit pas être ramenée aux clichés que l'histoire littéraire nous a transmis sur son compte. «Elle a cent bras. Elle atteint partout», disait d'elle une amie chère, la marquise de Sévigné. Les lettres révèlent une femme d'influence, une femme d'affaires et d'intrigues, «persuadée que l'amour est une chose incommode», à la fois fascinée par la passion et aspirant à la paix intérieure, en un balancement qui est au coeur de son oeuvre.
«Si on le prend à l'origine qu'est-ce, en vrai, que le romantisme sinon la manifestation d'un état de crise dont le siège se trouve toujours dans le fond même de notre esprit ?Oui, cet esprit est ainsi fait qu'il supporte avec peine le malaise de vivre sans cesse sous la coupe de la raison. Car il se sait plein de ressources qu'il tient pour autrement fécondes : l'or qu'il puise dans son instinct, autrement dit dans ce monde vraiment abyssal qu'est l'inconscient. Quand l'asphyxie produite par cet état de choses est devenue intolérable, on peut dire que le romantisme a vu enfin venir son heure. Il n'attend plus pour exploser que l'étincelle que la moindre occasion fait naître. Par sa révolte, le romantisme signifie au monde rationnel son intention de défendre jusqu'à l'exhaustion ce qu'il tient pour le suc de la personne humaine : savoir la musique intérieure que nous donne le sens du sacré. [...] Il se trouve que Victor Hugo s'est fait, en France, l'incarnation de cette force irrépressible que représente le romantisme. Inspirateur d'un coup de force dont l'objectif était de doter le théâtre d'un genre qui fût, au plus haut point, digne de la Révolution : voilà son titre de gloire véritable. De toutes les oeuvres que cette époque vit éclore, il n'en subsiste presque aucune dont on garde le vivant souvenir. Sauf celles, il faut le reconnaître, dont il est l'auteur. Cette survivance, il va sans dire que Hugo la doit beaucoup moins à ses vertus de dramaturge qu'à son seul génie oratoire. Il n'y a donc pas lieu de séparer ses drames de son oeuvre poétique. Le meilleur de son théâtre n'est autre chose qu'un magasin de morceaux de bravoure dont le lyrisme fait tous les frais. Sorti du livre, le théâtre de Hugo est donc contraint d'y rentrer. On ne saurait mieux se soumettre à sa destinée.» Roland Purnal.
Nul n'est plus difficile à saisir que Jack London. Écrivain populaire, selon un étiquetage hâtif, lu dans les foyers plutôt qu'à l'université, mal édité aux États-Unis, pourtant traduit dans toutes les langues, connu et aimé dans le monde entier, il semble appartenir, plutôt qu'à la littérature, à un imaginaire collectif où la dénomination «Jack London» incarnerait l'esprit d'aventure sous ses formes les plus violentes.
Sa vie, menée à un train d'enfer, est souvent confondue avec ses livres, l'ensemble composant une sorte de légende hybride dans laquelle «la vie» ne cesse de l'emporter en prestige sur des ouvrages qui n'en seraient que la pâle imitation. C'est oublier que les équipées du jeune London sont inspirées des récits héroïques lus dans son enfance : la littérature précède et commande la carrière tumultueuse du jeune aventurier risque-tout. Ses livres sont les produits d'une authentique volonté créatrice.
Mais il faut être juste : London, mythographe de lui-même, n'a pas peu contribué à cette confusion. L'autodidacte, l'ange au corps d'athlète, l'écrivain-chercheur d'or, l'écrivain-navigateur, le reporter, le prophète de la révolution socialiste, le gentleman-farmer - les images qui composent le mythe sont largement une création de cet homme acharné à goûter de toutes les intensités que la vie peut offrir.
Revenir aux textes de Jack London et le rendre à la littérature, telle est l'ambition de ces volumes, enrichis de la totalité des illustrations et photographies des premières éditions américaines. Les traductions, nouvelles, s'efforcent de ne pas atténuer les étrangetés d'un style que l'écrivain a souvent déclaré s'être forgé sans autre maître que lui-même. Tous les genres que London a abordés sont représentés : le roman, le récit, le reportage, l'autobiographie. Une place importante a été faite à la nouvelle : on propose en tout quarante-sept proses brèves, et c'est peut-être par là qu'il faut commencer pour saisir ce que London demande à l'écriture de fiction.
«Commencées dans l'agitation, les comédies se terminent dans le calme, contrairement aux tragédies qui, commencées dans le calme, finissent en tempête.» La formule est du dramaturge Thomas Heywood, elle date de 1612 et a le mérite de la simplicité. Mais c'est aussi sa limite, le genre «comédie», si c'en est un, étant quant à lui plutôt complexe. Shakespeare a écrit dix-huit pièces ainsi désignées, et ce qu'ont en commun La Comédie des erreurs (1590-93) et La Tempête (1611) ne saute pas aux yeux. Reste qu'il est possible d'identifier dans cet ensemble trois phases, que recoupent à peu près les trois volumes de la Pléiade.
Après une première époque (1590-1598 ; t. I) qualifiée de «maniériste» et au cours de laquelle Shakespeare renverse les codes de l'amour pétrarquiste, c'est plus que jamais le sentiment amoureux qui confère leur (problématique) unité aux comédies écrites entre 1598 et 1604-06 (t. II). Il irrigue toutes les intrigues, des plus désopilantes aux plus romantiques, et s'accommode de toutes les modalités du comique. Comique énorme des Joyeuses Épouses de Windsor, «comédie sans comique» à l'autre bout du spectre : Tout est bien qui finit bien finit bien, mais contre toute attente. Entre ces deux extrêmes se déploient les «comédies brillantes». Jouant de la duplicité des apparences (trompe-l'oeil et anamorphoses sont alors en vogue), irrésistiblement séduisantes, elles mettent en scène le miroitement et les intermittences des coeurs.
La dernière phase (1607-1613 ; t. III) réunit des pièces traitées de tous les noms : romances (drames romanesques), «comédies du renouveau», pièces «bâtardes», «tragi-comédies» - ni comédies, car la mort rôde, ni tragédies, car on n'y meurt pas assez. (Il ne manque en somme à ce chapelet de qualificatifs que la «tragédie comico-historico-pastorale» imaginée par Polonius dans Hamlet.) C'est le temps des harmonies paradoxales : s'y accordent le comique et l'odieux, le rire et la peur, les danses et les funérailles. La joie des héros du Conte d'hiver «patauge dans les larmes», la tristesse du Palamon des Deux Nobles Cousins «est une sorte de joie composite».
Les intrigues de ces dernières pièces sont complexes. Strange est le mot qui, d'écho en écho, les traverse toutes. Les contrées sont inconnues, les rebondissements inattendus, les apparitions déconcertantes. Le merveilleux règne sans partage sur l'île enchantée de La Tempête. Puis «ce spectacle insubstantiel» s'évanouit ; Prospéro et ses semblables étaient «de l'étoffe dont les rêves sont faits». Les dernières comédies mettent en lumière le paradoxe de leur art : éphémères productions d'insaisissables rêveries, invraisemblables «histoires d'autrefois», elles pourraient ne pas nous concerner, et pourtant nous habitent.
C'est avec elles que s'achève la publication de l'édition bilingue du théâtre de Shakespeare à la Pléiade.
Hermétique aux expérimentations littéraires, Michel Tournier dit appartenir à la famille des «fictionnistes», dont les aînés sont Balzac, Hugo ou Dumas. La revendication de cette tradition s'accompagne chez lui d'une conception selon laquelle l'écrivain serait avant tout un artisan - et d'une défiance envers les maîtres à penser. Mais pas envers la pensée, puisque Tournier, philosophe et germaniste qui, comme Descartes, avançait «masqué», déclarait par ailleurs : «je n'ai jamais rien publié qui ne découle secrètement et indirectement de Platon, d'Aristote, de Spinoza, de Leibniz et de quelques autres». Ces références ont de quoi étonner, sans doute, car nul ne se voulait plus romancier que Tournier en une époque où la théorie semblait parfois prendre le pas sur la littérature.
Il publie son premier roman, Vendredi ou les Limbes du Pacifique (1967), au moment où le Nouveau Roman domine intellectuellement le monde littéraire français. Il n'a pas la moindre affinité avec ce mouvement, mais ses soutiens ne sont pas des ennemis de la modernité littéraire ; Vendredi est défendu par Queneau chez Gallimard ; Calvino y voit pour sa part un livre crucial, ouvrant une voie nouvelle ; tandis que pour Deleuze, il s'agit non seulement d'un roman philosophique, mais aussi «d'un roman d'aventures, de métamorphoses spirituelles, un roman nudiste, un roman comique, pervers, élémentaire, cosmique, un roman romanesque, dans la perfection d'un style où tout est rigueur et hymne». À la lecture du Roi des Aulnes (prix Goncourt 1970), George Steiner affirme qu'il s'agit de «l'un des plus grands romans européens de ces dernières décennies». D'autres s'effraieront de la proximité de la métaphysique et de la scatologie... Mais Tournier, loin de s'adresser seulement aux intellectuels et aux philosophes, ou de vouloir exclusivement terrifier les âmes frileuses, entendait que son oeuvre touche le public le plus vaste. Vendredi ou la Vie sauvage (1971) - destiné d'abord aux enfants, mais qu'il estimait être plus abouti que le premier Vendredi - compte aujourd'hui plus de sept millions de lecteurs.
Le projet d'éditer les Romans de Tournier dans la Pléiade a été conçu du vivant de l'auteur, et le sommaire du volume, établi en concertation avec lui, est demeuré inchangé après sa mort en 2016. On ne s'étonnera pas de la présence d'un essai intitulé Le Vent Paraclet (1977), qui offre un regard de l'intérieur sur le volume ; Tournier cherche en effet à y approcher le secret de la création, et plus particulièrement celui de ses romans : Vendredi, Le Roi des Aulnes et Les Météores. Pour la première fois, les manuscrits de Tournier sont mobilisés : ils donnent un accès unique à l'atelier de l'auteur. On découvre ainsi comment ce «jeune romancier» de plus de quarante ans, qui écrivait à Robert Gallimard en 1966 : «je suis un faux débutant», avait en réalité «toujours écrit».
Au sommaire des Oeuvres complètes de Marguerite Duras figurent l'intégralité des livres publiés du vivant de l'écrivain et de nombreux textes ou documents peu accessibles, voire inédits. Les deux premiers volumes menaient le lecteur jusqu'en 1973, l'année d'India Song. Les tomes suivants couvrent chacun une décennie : 1974-1984 pour le troisième volume, 1985-1995 pour le quatrième. Les livres que Duras publie entre sa soixantième et sa soixante-dixième année (tome III) sont souvent brefs, à moins qu'ils ne prennent, comme Outside et Les Yeux verts, la forme de recueils. Ils marquent un désir de renouvellement, et tous ne touchent pas immédiatement le public, mais il est aujourd'hui évident que Le Navire Night, L'Été 80, Savannah Bay ou La Maladie de la mort sont des jalons majeurs de l'oeuvre. En 1984, enfin, L'Amant connaît un triomphe critique et commercial inouï. Le statut littéraire et public de Duras bascule. Les années 1974-1984 sont aussi une «décennie cinématographique». Les films - Le Camion, Baxter, Véra Baxter, Le Navire Night, les deux Aurélia Steiner, etc. - dialoguent avec les livres qui leur correspondent et infléchissent notre façon de lire Duras. Les scénarios et autres tentatives d'adaptation figurent donc en bonne place parmi les textes réunis «autour des oeuvres».
«La seule chose que je désirais [...] profondément, avidement, c'était un regard lucide et désabusé. Je l'ai trouvé enfin dans l'art du roman. C'est pourquoi être romancier fut pour moi plus que pratiquer un genre littéraire parmi d'autres ; ce fut une attitude, une sagesse, une position ; une position excluant toute identification à une politique, à une religion, à une idéologie, à une morale, à une collectivité ; une non-identification consciente, opiniâtre, enragée, conçue non pas comme évasion ou passivité, mais comme résistance, défi, révolte. J'ai fini par avoir ces dialogues étranges : Vous êtes communiste, monsieur Kundera ? - Non, je suis romancier. Vous êtes dissident ? - Non, je suis romancier. Vous êtes de gauche ou de droite ? - Ni l'un ni l'autre. Je suis romancier.» Milan Kundera, Les Testaments trahis. Dans Le Rideau, Milan Kundera oppose à la «morale de l'archive», qui justifie la publication de tout ce qu'un auteur a pu écrire, la «morale de l'essentiel» : seuls appartiennent à l'oeuvre les textes que l'auteur juge dignes d'être retenus. Le reste relève de la biographie, peut-être des marges de l'oeuvre, non de l'oeuvre elle-même. La présente édition ne propose donc pas des Oeuvres complètes, mais une Oeuvre, complète dans la mesure où l'auteur en a lui-même dessiné les contours, fixé le titre et arrêté la présentation. Au sommaire de ces deux volumes figurent un recueil de nouvelles, dix romans, une pièce de théâtre dont le point de départ est un roman et quatre essais consacrés pour l'essentiel à l'art du roman : seize livres où se réalise pleinement la volonté esthétique de Milan Kundera, mûre, consciente, assumée. Le texte de ces livres, souvent retouché par l'auteur à l'occasion de rééditions ou de simples réimpressions, se veut aussi définitif que possible. On chercherait en vain, dans cette édition, une biographie de Kundera. On y trouvera en revanche la biographie de son oeuvre. En seize chapitres, un par livre, François Ricard retrace le destin de ces livres et évoque les circonstances de leur publication, de leur diffusion, de leur réception. Ces chapitres sont enrichis d'extraits de déclarations, de notes ou de préfaces dues à Milan Kundera : autant d'écrits jusqu'alors difficilement accessibles, voire inédits en français.
Sur le point de savoir si les quatre-vingt-quinze thèses de Luther sur «la vertu des indulgences» ont bien été affichées à Wittenberg le 31 octobre 1517, tout le monde n'est pas du même avis. Mais ce sur quoi, cinq cents ans plus tard, on peut s'accorder, c'est sur les conséquences de cet affichage réel ou supposé : l'étincelle (probablement) allumée ce jour-là allait bouleverser le paysage religieux, politique, social, intellectuel, littéraire et artistique de l'Europe.
L'édition des oeuvres de Luther dans la Pléiade fait apparaître la diversité de ses écrits, qui reflète celle de ses centres d'intérêt. Le premier volume proposait des textes se rapportant aux débuts du mouvement évangélique. Dans le second, qui regroupe des ouvrages composés entre 1523 et 1546, un nouveau Luther se fait jour. Depuis 1522, il s'est définitivement installé à Wittenberg. Il se consacre à l'enseignement, à la prédication et, de façon incessante, à l'écriture.
L'établissement dans la durée du mouvement évangélique est loin d'être simple. Les conceptions luthériennes furent contestées de divers côtés. Luther répond aux objections, aux approches spiritualistes ou «enthousiastes» de ses opposants comme à celle des théologiens fidèles à l'Église romaine. Le rapport qu'entretiennent les chrétiens avec l'Ancien Testament fait partie de ses préoccupations. Son attitude à l'égard des juifs devient de plus en plus dure.
Plus que jamais il se montre attentif aux problèmes socio-politiques. La guerre des Paysans puis les tensions entre les États protestants et l'empereur l'incitent à traiter de la résistance à l'autorité. Il s'inquiète de savoir si un chrétien peut être soldat. Il dit son attachement à une paix laissant libre cours à l'Évangile, tout en concédant aux princes protestants le droit à une légitime défense. Il se prononce aussi sur la menace que font peser les Turcs.
Le requièrent sans cesse les problèmes liés à l'éducation, voire à la «culture». Son enseignement le conduit à élaborer des séries de thèses qui font l'objet de débats académiques. L'une d'elles expose sa conception de l'homme. Son traité de 1527, Si l'on peut fuir devant la mort, développe des considérations éthiques dans quoi le lecteur du XXIe siècle reconnaîtra parfois ses propres interrogations.
Luther est enfin poète. Il écrivit trente-six cantiques, dont plusieurs nous sont familiers : Bach les a mis en musique. L'un des plus célèbres, Ein feste Burg ist unser Gott, «C'est une solide forteresse que notre dieu», lui a fourni le texte de sa cantate BWV 80, destinée à la fête de la Réforme 1724 - célébrée, selon l'usage, le 31 octobre.
Sur les quarante-deux écrits rassemblés dans ce volume, sept ont été traduits du latin, trente-cinq de l'allemand, une langue sur laquelle Luther imprima sa marque, faite de clarté, de simplicité, et de cette verve peu commune qui l'a fait qualifier de «Rabelais allemand».
Trad. de l'allemand et du latin par Matthieu Arnold, Jean Bosc, Albert Greiner, Franck Gueutal, Hubert Guicharrousse, Frederic Hartweg, Gustave Hentz, Pascal Hickel, Pierre Jundt, Charles Kohser, Georges Lagarrigue, Nicole de Laharpe, Annemarie et Marc Lienhard, Daniel Olivier, Patrice Veit et Michel Weyer. Édition publiée sous la direction de Matthieu Arnold et Marc Lienhard avec la collaboration de Jean Bosc, Albert Greiner, Franck Gueutal, Hubert Guicharrousse, Frederic Hartweg, Gustave Hentz, Pascal Hickel, Pierre Jundt, Charles Kohser, Georges Lagarrigue, Nicole de Laharpe, Annemarie Lienhard, Daniel Olivier, Patrice Veit et Michel Weyer.
«L'OEuvre de Faulkner nous apparaît avant tout comme organique et réflexif :Organique : malgré les apparences imposantes du "monument", nul oeuvre n'est moins préconçu que celui-ci, du moins au principe. Une fois plongées profondément ses racines, planté le décor et campés la plupart des personnages, l'oeuvre croît par poussées et rejets, greffes et reprises, explorations successives et réorientations. [...] Mais cette croissance est contrôlée et on y discerne vite une ligne directrice. S'il nous fallait à tout prix exprimer la figure que dessine cet oeuvre qui constamment se cherche et revient sur lui-même pour s'élever à nouveau, c'est celle de la spirale que nous choisirions. [...] Réflexif, aussi : il y a chez Faulkner, à un haut degré d'acuité, une conscience quasi-mallarméenne de l'oeuvre. D'une façon ou d'une autre, chaque livre dit qu'il est un acte délibéré constituant une étape dans le déroulement d'un drame qui a nom l'OEuvre même. À cet égard, aucun roman n'est plus révélateur que Tandis que j'agonise.» Michel Gresset.
On croit savoir que Freddy Sauser devint poète à New York dans la nuit du 6 avril 1912, qu'il se changea en Blaise Cendrars à cette occasion, puis qu'il renonça au poème, au profit d'une autre écriture, de la main gauche cette fois, dans la nuit du 1er septembre 1917, à Méréville (Seine-et-Oise). Rare précision des dates... À nuancer toutefois. Deux recueils paraissent encore en 1924, et il se peut que la ligne de partage entre poèmes et «fictions» (ce mot, à nuancer lui-même) ne soit pas si nette. Au reste, entre 1917 et 1924, Cendrars renonce au poème, pas à la poésie. L'une des vertus de cette édition, dont les deux titres semblent entériner le mythe de la rupture forgé par l'écrivain, est de mettre en évidence la cohérence souterraine qui fait de lui, dans ses romans aussi bien que dans ses recueils, le poète de la modernité.
Modernité, et non avant-garde. Il ne s'agit pas de célébrer le futur. C'est le Profond aujourd'hui qui retient Cendrars, et il est bon que la chronologie place en tête des «oeuvres romanesques», comme une enseigne, l'inclassable texte de 1917 ainsi intitulé. «La modernité a tout remis en question.» Elle crée des besoins «de précision, de vitesse, d'énergie» qui détraquent les sens et le coeur de l'homme. Le romanesque doit mettre au point «le nouveau régime de la personnalité humaine». Telle est l'ambition de Cendrars.
Elle ne s'accommode d'aucune «recette». «Consultez mes oeuvres. Il n'y a pas de principe ; il n'y a que des réalisations.» L'Or et Moravagine sont «deux pôles aussi différents l'un de l'autre par l'écriture et la conception que s'ils étaient l'ouvrage de deux écrivains sans tendresse réciproque», dira l'ami t'Serstevens. Cendrars ne tient pas à enfoncer le clou. «Quand on aime il faut partir», se renouveler, élargir les cases, se jouer des formes. Les Sonnets sont dénaturés, les Poèmes élastiques, Rhum est un reportage romancé, et les Histoires dites vraies entretiennent un rapport complexe avec la fiction. «Plus un papier est vrai, plus il doit paraître imaginaire.» Et vice versa : la fugue du Transsibérien était imaginaire, mais plus vraie que vraie.
C'est dire qu'il entre une part de convention dans les intitulés donnés aux volumes que la Pléiade consacre à Blaise Cendrars. Poétiques, romanesques, autobiographiques : la plupart des ouvrages relèvent, dans des proportions variables, des trois catégories. Les territoires respectifs de la fiction et de la réalité se recouvrent. Et à lire le romancier, on voit à quel point les préoccupations du poète demeurent actives, et comment elles atténuent ou effacent les frontières entre les genres. «Les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles», disait Rimbaud.
Pour faire savoir à Yseut qu'il se trouve non loin d'elle, Tristan grave une inscription sur une branche de coudrier. « Ni vous sans moi, ni moi sans vous ! » Le stratagème réussit, les amants s'enlacent. Quand ils sont de nouveau séparés, Tristan compose un lai pour éterniser cet instant de bonheur. Telle est l'origine du Chèvrefeuille de Marie de France, et celle de bien des lais : ils naissent du souvenir d'une émotion.
De Marie de France on sait peu de chose. Elle vécut dans la seconde moitié du XIIe siècle, était liée à la cour d'Aliénor d'Aquitaine, et fut la première femme poète à écrire en langue vernaculaire. Son oeuvre illustre un courant littéraire alors en plein essor, le «lai narratif», qui est en fait un récit, un conte. La floraison du genre correspond à l'apogée des Plantagenêt ; le lai participe à leur rayonnement. Le déclin des lais narratifs coïncidera avec les difficultés politiques de la dynastie.
Le monde des lais est celui du merveilleux, la féerie y surgit à l'improviste. Les chevaux galopent plus vite que ne volent les oiseaux, tel homme se transforme trois jours par semaine en une bête féerique, tel autre épouse le reflet de sa bien-aimée. La fine amor, c'est-à-dire l'amour courtois, est partout présente. Revêtant des formes diverses - féeriques, didactiques, burlesques, proches des fabliaux, voire des fables -, les lais ont en commun le sens de l'image, la musique de la rime, l'art de suggérer, le don d'émouvoir.
Cette édition, où une traduction en français moderne figure en regard du texte anglo-normand, réunit tous les lais narratifs des XIIe et XIIIe siècles. Ceux dont le texte a été perdu sont représentés par la traduction de leur version norroise ou moyen-anglaise.
Chronologie - Avertissement.
Le concept d'angoisse - Avant-propos - Stades sur le chemin de la vie - Le lis des champs et l'oiseau du ciel, trois discours pieux - La maladie mortelle [Traité du désespoir] - Pratique du christianisme - Point de vue sur mon activité d'écrivain - Sur mon activité d'écrivain.
Notices et notes - Bibliographie.
Traductions nouvelles.
Ce troisième et dernier volume de la Correspondance de Balzac couvre une période de neuf ans (1842-1850). L'écrivain travaille toujours d'arrache-pied à La Comédie humaine. Il rédige les romans qui paraissent en feuilletons dans la presse (Illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes), corrige les épreuves de l'édition Furne, négocie âprement avec éditeurs et libraires. Les lettres échangées avec ces derniers témoignent de la redoutable productivité d'un romancier aussi débordé qu'endetté.
La vie imitant l'art (et inversement), tel Rubempré Balzac mène à présent grand train auprès de sa maîtresse, une comtesse devenue veuve, Éveline Hanska. Ensemble ils parcourent l'Europe. Honoré n'en oublie pas pour autant sa famille - il écrit régulièrement à sa mère, à sa soeur et à ses nièces -, ses amis ni ses admirateurs. À la mort de Stendhal, il se souvient de l'auteur de la Chartreuse, qui «écrivait comme les oiseaux chantent». Entre deux séjours chez Mme Hanska, en Ukraine, il multiplie les projets au théâtre, où il envisage de transposer plusieurs de ses succès de librairie. Apprenant le décès de Chateaubriand, il soumet de nouveau sa candidature à l'Académie française ; il n'y obtient que quatre voix, dont celles de Hugo et de Lamartine. Enfin, le mariage avec Mme Hanska est célébré. Le 17 mars 1850, il laisse éclater son bonheur dans une lettre à Zulma Carraud : «Vous ne pouvez apprendre que de moi le dénouement heureux de ce grand et beau drame de coeur qui dure depuis 16 ans. [...] Cette union est, je crois, la récompense que Dieu me tenait en réserve pour tant d'adversités, d'années de travail, de difficultés subies et surmontées».
Sa santé continue à se dégrader. Il s'éteint cinq mois à peine après ses noces. Ses dernières lettres avaient été dictées à celle qui était devenue Mme Ève de Balzac. En juin 1850, s'excusant auprès de Théophile Gautier, qui souhaitait lui faire ses adieux, de ne pouvoir le recevoir, il ajoute d'une main hésitante, sous le texte tracé par sa «secrétaire» : «Je ne puis ni lire, ni écrire.» Il meurt le 18 août, à cinquante et un ans.
Édition de Roger Pierrot et Hervé Yon.
Introduction - Chronologie - Notes sur la présente édition.
Ou bien...ou bien incluant Le journal du séducteur - La reprise - Crainte et tremblement.
Miettes philosophiques.
Notices et notes.
Traductions nouvelles
Notre «contemporain capital posthume» : ainsi a-t-on qualifié Perec vingt ans après sa mort. La formule n'est pas une simple boutade, elle dit quelque chose de la fortune de l'oeuvre. Celle-ci a laissé sa marque dans la culture populaire, ce qui n'est pas banal. «Mode d'emploi» est utilisé à tout propos, et «Je me souviens» est devenu une scie. Mais de tels stéréotypes ne présagent pas toujours la présence réelle des livres. De cette présence, la multiplication des publications posthumes, qui rivalisent, du moins en notoriété, avec les ouvrages que Perec publia lui-même, est un indice plus convaincant. Plus significatif encore, le nombre des écrivains, des artistes, des architectes, etc., qui se revendiquent de l'auteur d'Espèces d'espaces. Perec serait-il déjà devenu un classique? La relative intemporalité que cela suppose ferait alors écho au désir qu'exprimait le titre rimbaldien de son dernier poème, L'Éternité, et qui se lisait déjà dans Les Revenentes : «Je cherche en même temps l'éternel et l'éphémère.» Perec, pour sa part, se décrivait comme «un paysan qui cultiverait plusieurs champs» : sociologique, autobiographique, ludique, romanesque - ce dernier, tributaire de l'envie (bien naturelle chez un lecteur de Jules Verne) «d'écrire des livres qui se dévorent à plat ventre sur son lit». Mais on tenterait en vain de ranger ses ouvrages dans quatre cases distinctes. Les quatre perspectives ne s'excluent pas les unes les autres ; elles sont autant de modes de lecture possibles, et compatibles. «Je cherche en même temps l'éternel et l'éphémère» est certes, comme Les Revenentes tout entier, un lipogramme monovocalique (la seule voyelle employée est e) qui inverse l'époustouflant lipogramme en e de La Disparition (où cette voyelle n'est jamais employée) : nous voici au royaume des contraintes, des prouesses, de l'Oulipo. Mais cette phrase envoûtante est aussi, et avant tout peut-être, un mode d'emploi de la vie.
Chez Perec, les contraintes formelles miment en quelque sorte celles, tragiques, de l'histoire, «la grande, l'Histoire avec sa grande hache». La disparition d'une voyelle dit celle de l'univers familial. La place centrale qu'occupe dans l'oeuvre le chiffre 11 est à rapprocher de la date de la déportation, le 11 février 1943, de la mère de l'écrivain. Une vie commence alors qui s'écrira à l'irréel du passé : «Moi, j'aurais aimé aider ma mère à débarrasser la table de la cuisine après le dîner.» Pas de temps retrouvé euphorique pour Perec. La mémoire demeure lacunaire, et Je me souviens souligne sa fragilité. Aucun palindrome, aucun Voyage d'hiver ne saurait inverser le fleuve du temps. Du moins la fiction peut-elle en suspendre le cours, et donner au monde une forme conquise sur le désordre du réel. C'est à cette ambition que La Vie mode d'emploi et l'oeuvre tout entière de Perec doivent leur intensité.
Ce volume contient : Les Choses - Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour? - Un homme qui dort - La Disparition - Les revenentes - Espèces d'espaces - W ou Le souvenir d'enfance - Je me souviens. En marge des oeuvres : Textes et documents.
Édition publiée sous la direction de Christelle Reggiani avec la collaboration de Dominique Bertelli, Claude Burgelin, Florence de Chalonge, Maxime Decout et Yannick Séité.
Notre «contemporain capital posthume» : ainsi a-t-on qualifié Perec vingt ans après sa mort. La formule n'est pas une simple boutade, elle dit quelque chose de la fortune de l'oeuvre. Celle-ci a laissé sa marque dans la culture populaire, ce qui n'est pas banal. «Mode d'emploi» est utilisé à tout propos, et «Je me souviens» est devenu une scie. Mais de tels stéréotypes ne présagent pas toujours la présence réelle des livres. De cette présence, la multiplication des publications posthumes, qui rivalisent, du moins en notoriété, avec les ouvrages que Perec publia lui-même, est un indice plus convaincant. Plus significatif encore, le nombre des écrivains, des artistes, des architectes, etc., qui se revendiquent de l'auteur d'Espèces d'espaces. Perec serait-il déjà devenu un classique ? La relative intemporalité que cela suppose ferait alors écho au désir qu'exprimait le titre rimbaldien de son dernier poème, L'Éternité, et qui se lisait déjà dans Les Revenentes : «Je cherche en même temps l'éternel et l'éphémère.» Perec, pour sa part, se décrivait comme «un paysan qui cultiverait plusieurs champs» : sociologique, autobiographique, ludique, romanesque - ce dernier, tributaire de l'envie (bien naturelle chez un lecteur de Jules Verne) «d'écrire des livres qui se dévorent à plat ventre sur son lit». Mais on tenterait en vain de ranger ses ouvrages dans quatre cases distinctes. Les quatre perspectives ne s'excluent pas les unes les autres ; elles sont autant de modes de lecture possibles, et compatibles. «Je cherche en même temps l'éternel et l'éphémère» est certes, comme Les Revenentes tout entier, un lipogramme monovocalique (la seule voyelle employée est e) qui inverse l'époustouflant lipogramme en e de La Disparition (où cette voyelle n'est jamais employée) : nous voici au royaume des contraintes, des prouesses, de l'Oulipo. Mais cette phrase envoûtante est aussi, et avant tout peut-être, un mode d'emploi de la vie. Chez Perec, les contraintes formelles miment en quelque sorte celles, tragiques, de l'histoire, «la grande, l'Histoire avec sa grande hache». La disparition d'une voyelle dit celle de l'univers familial. La place centrale qu'occupe dans l'oeuvre le chiffre 11 est à rapprocher de la date de la déportation, le 11 février 1943, de la mère de l'écrivain. Une vie commence alors qui s'écrira à l'irréel du passé : «Moi, j'aurais aimé aider ma mère à débarrasser la table de la cuisine après le dîner.» Pas de temps retrouvé euphorique pour Perec. La mémoire demeure lacunaire, et Je me souviens souligne sa fragilité. Aucun palindrome, aucun Voyage d'hiver ne saurait inverser le fleuve du temps. Du moins la fiction peut-elle en suspendre le cours, et donner au monde une forme conquise sur le désordre du réel. C'est à cette ambition que La Vie mode d'emploi et l'oeuvre tout entière de Perec doivent leur intensité.
On croit savoir que Freddy Sauser devint poète à New York dans la nuit du 6 avril 1912, qu'il se changea en Blaise Cendrars à cette occasion, puis qu'il renonça au poème, au profit d'une autre écriture, de la main gauche cette fois, dans la nuit du 1er septembre 1917, à Méréville (Seine-et-Oise). Rare précision des dates... À nuancer toutefois. Deux recueils paraissent encore en 1924, et il se peut que la ligne de partage entre poèmes et «fictions» (ce mot, à nuancer lui-même) ne soit pas si nette. Au reste, entre 1917 et 1924, Cendrars renonce au poème, pas à la poésie. L'une des vertus de cette édition, dont les deux titres semblent entériner le mythe de la rupture forgé par l'écrivain, est de mettre en évidence la cohérence souterraine qui fait de lui, dans ses romans aussi bien que dans ses recueils, le poète de la modernité.
Modernité, et non avant-garde. Il ne s'agit pas de célébrer le futur. C'est le Profond aujourd'hui qui retient Cendrars, et il est bon que la chronologie place en tête des «oeuvres romanesques», comme une enseigne, l'inclassable texte de 1917 ainsi intitulé. «La modernité a tout remis en question.» Elle crée des besoins «de précision, de vitesse, d'énergie» qui détraquent les sens et le coeur de l'homme. Le romanesque doit mettre au point «le nouveau régime de la personnalité humaine». Telle est l'ambition de Cendrars.
Elle ne s'accommode d'aucune «recette». «Consultez mes oeuvres. Il n'y a pas de principe ; il n'y a que des réalisations.» L'Or et Moravagine sont «deux pôles aussi différents l'un de l'autre par l'écriture et la conception que s'ils étaient l'ouvrage de deux écrivains sans tendresse réciproque», dira l'ami t'Serstevens. Cendrars ne tient pas à enfoncer le clou. «Quand on aime il faut partir», se renouveler, élargir les cases, se jouer des formes. Les Sonnets sont dénaturés, les Poèmes élastiques, Rhum est un reportage romancé, et les Histoires dites vraies entretiennent un rapport complexe avec la fiction. «Plus un papier est vrai, plus il doit paraître imaginaire.» Et vice versa : la fugue du Transsibérien était imaginaire, mais plus vraie que vraie.
C'est dire qu'il entre une part de convention dans les intitulés donnés aux volumes que la Pléiade consacre à Blaise Cendrars. Poétiques, romanesques, autobiographiques : la plupart des ouvrages relèvent, dans des proportions variables, des trois catégories. Les territoires respectifs de la fiction et de la réalité se recouvrent. Et à lire le romancier, on voit à quel point les préoccupations du poète demeurent actives, et comment elles atténuent ou effacent les frontières entre les genres. «Les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles», disait Rimbaud.
Notre «contemporain capital posthume» : ainsi a-t-on qualifié Perec vingt ans après sa mort. La formule n'est pas une simple boutade, elle dit quelque chose de la fortune de l'oeuvre. Celle-ci a laissé sa marque dans la culture populaire, ce qui n'est pas banal. «Mode d'emploi» est utilisé à tout propos, et «Je me souviens» est devenu une scie. Mais de tels stéréotypes ne présagent pas toujours la présence réelle des livres. De cette présence, la multiplication des publications posthumes, qui rivalisent, du moins en notoriété, avec les ouvrages que Perec publia lui-même, est un indice plus convaincant. Plus significatif encore, le nombre des écrivains, des artistes, des architectes, etc., qui se revendiquent de l'auteur d'Espèces d'espaces. Perec serait-il déjà devenu un classique? La relative intemporalité que cela suppose ferait alors écho au désir qu'exprimait le titre rimbaldien de son dernier poème, L'Éternité, et qui se lisait déjà dans Les Revenentes : «Je cherche en même temps l'éternel et l'éphémère.» Perec, pour sa part, se décrivait comme «un paysan qui cultiverait plusieurs champs» : sociologique, autobiographique, ludique, romanesque - ce dernier, tributaire de l'envie (bien naturelle chez un lecteur de Jules Verne) «d'écrire des livres qui se dévorent à plat ventre sur son lit». Mais on tenterait en vain de ranger ses ouvrages dans quatre cases distinctes. Les quatre perspectives ne s'excluent pas les unes les autres ; elles sont autant de modes de lecture possibles, et compatibles. «Je cherche en même temps l'éternel et l'éphémère» est certes, comme Les Revenentes tout entier, un lipogramme monovocalique (la seule voyelle employée est e) qui inverse l'époustouflant lipogramme en e de La Disparition (où cette voyelle n'est jamais employée) : nous voici au royaume des contraintes, des prouesses, de l'Oulipo. Mais cette phrase envoûtante est aussi, et avant tout peut-être, un mode d'emploi de la vie.
Chez Perec, les contraintes formelles miment en quelque sorte celles, tragiques, de l'histoire, «la grande, l'Histoire avec sa grande hache». La disparition d'une voyelle dit celle de l'univers familial. La place centrale qu'occupe dans l'oeuvre le chiffre 11 est à rapprocher de la date de la déportation, le 11 février 1943, de la mère de l'écrivain. Une vie commence alors qui s'écrira à l'irréel du passé : «Moi, j'aurais aimé aider ma mère à débarrasser la table de la cuisine après le dîner.» Pas de temps retrouvé euphorique pour Perec. La mémoire demeure lacunaire, et Je me souviens souligne sa fragilité. Aucun palindrome, aucun Voyage d'hiver ne saurait inverser le fleuve du temps. Du moins la fiction peut-elle en suspendre le cours, et donner au monde une forme conquise sur le désordre du réel. C'est à cette ambition que La Vie mode d'emploi et l'oeuvre tout entière de Perec doivent leur intensité.
Ce volume contient : La Vie mode d'emploi - Un cabinet d'amateur - La Clôture et autres poèmes - L'Éternité. Appendice : Tentative d'épuisement d'un lieu parisien - Le Voyage d'hiver - Ellis Island - L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation - L'Augmentation. En marge des oeuvres : Textes et documents.
Édition publiée sous la direction de Christelle Reggiani avec la collaboration de Claude Burgelin, Maxime Decout, Maryline Heck et Jean-Luc Joly.